Partager du vin pour l’amour de l’humain.

Oct 17, 2025

Biodynamis est l’unique revue française qui présente l’approche biodynamique de l’agriculture, du jardinage et de l’alimentation, dans un esprit d’ouverture
et de mise en lien avec les autres acteurs du mouvement bio.

Soazig Cornu est venu pour l’occassion (re)découvrir notre domaine. Nous souhaitions l’a remercier pour sa plume remarquable.

Soazig Cornu

Après la visite de la micro-ferme vosgienne des Zanchi, traversons le massif pour nous immerger au cœur d’un vignoble alsacien. Ici, c’est la vigne qui a marqué l’histoire d’une famile; une aventure portée à deux paires de bras, puis à une seule. Une histoire de résilience, de sensibilité e t de courage, avec la biodynamie comme boîte à outil stimulante.

En allant faire ce reportage chez Claudine Rominger Sutter, gérante du domaine Erie Rominger à Westhalten, j’étais motivée pour aller échanger cete fois avec une viticultrice du vilage voisin et non d’une autre région. Une femme, qui plus est: j’étais impressionnée qu’elle mène ce domaine seule depuis dix ans suite à la disparition de son mari. J’ai découvert une femme profonde et battante au parcours atypique, qui met l’humain, les rencontres et les échanges au cœur de son quotidien, fonctionnant de manière intuitive et sensible pour soigner ses vignes et conduire ses vins. Chaque rencontre est une inspiration.

De l’éphémère au pérenne

Fermez les yeux, quittez la plaine du Rhin entre Mulhouse e t Colmar, dirigez-vous vers l’ouest et les collines sous-vosgiennes, pénétrez dans la vallée noble, où dès son entrée se niche ce village, au pied du Grand Cru Zinnkoepflé. Le nom d e Westhalten signifie littéralement « vignobles et coteaux situés à l’ouest ». Le village est entouré des trois fameuses colines de formation calcaire que sont l e Strangenberg, le Bollenberg et le Zinnkoepflé, abritant un microclimat, une faune et une flore qui sentent le Sud: orchidées, anémones pulsatilles, lézards verts, cigales et huppes fasciées; mais aussi des fossiles qui rappellent la lointaine présence de la mer. Les teroirs sur ce champ de fracture géo-
logique sont variés et exceptionnels. Claudine vient d’un village du Sundgau, au sud de
l’Alsace, d’une famille de cinq enfants. Ele devient fleuriste à Bâle, en Suisse. Ele travaille beaucoup, relève

de gros défis professionnels pour des clients aisés, apprend à travailler en équipe et à manager, à relationner avec clients et partenaires. Ele aime les fleurs, son métier et la créativité à développer pour répondre de manière unique à chaque demande. Elle aporte du plaisir, de la beauté, mais il y a quelque chose qui coince un peu et la dérange progressivement: les fleurs vivantes et sublimées meurent au bout de quelques jours, les créations sont éphémères, ses clients font parfois partie d’une élite d’une autre réa-
lité.

À vingt-six ans, ele rencontre Éric Rominger. À croire que leurs chemins devaient se croiser puisqu’ils se rentrent littéralement dedans sur une piste de ski en Allemagne! Les parents d’Éric ont quelques vignes qu’ils travailent en plus de leur métier principal. Ils livrent leur raisin à la coopérative, jusqu’à une année où la copérative ne les paye pas, les motivant à démarrer un peu la bouteille.

Éric a déjà le projet de devenir vigneron et des
envies plein la tête. Claudine sent qu’elle doit s’investir à ses côtés pour qu’ils cheminent et se réalisent ensemble. Alors, à vingt-huit ans, tout en gardant son premier métier, elle décide d’entamer un BPREA viticulture à mi-temps, afin de comprendre, d’apprendre, et de savoir si cela lui plairait. Force de caractère et détermination sont bien présentes chez cette femme éprise de liberté et d’indépendance. C’est la révélation dès le début de la formation! Elle aime la vigne, ce contact avec la terre et la plante, et aussi la transformation du savoureux raisin pour obtenir le vin, produit de partage par excellence.

Ci- Contre

Cluadine Rominger Sutter dans son vignoble qui domaine le village de Westhalten

Création, développement, appropriation, transmission

Le couple a tou t construit ensemble, pierre après pierre. Leur maison, leur cave. Ils ont créé une petite entreprise de prestation d’étiquetage dès le début, pour avoir un peu de trésorerie. Aujourd’hui encore Claudine tient beaucoup à cette partie de leur activité, qui lui permet chaque jour d’avoir un vigneron au téléphone, et par là d’échanger et d’apprendre toujours un petit quelque chose qui la fera progresser dans sa pra-
tique. Au début, ils vivent simplement, le taux d’endettement est élevé. Le jardin potager, les quelques fruitiers et le poulailler contribuent à nourrir la famille. Le domaine existant aujourd’hui est le fruit de ce labeur volontaire. Ils aimaient les défis, se prouver à eux mêmes qu’ils étaient capables de réussir. L’entreprise a grandi petit à petit, s’est développée, et le domaine Eric Rominger a fait sa place, dans le respect, la simplicité et l’évidence. Éric et Claudine ont d’abord travaillé de manière conventionnelle, come l’école leur avait si bien appris. Et puis la bio et la biodynamie sont arivées. Jean Schaetzel, vigneron bio et l’un des formateurs de Claudine, et Jean-Pierre Frick, voisin de parcelles et
pionnier en biodynamie en Alsace, les ont bien inspirés et accompagnés. Le déclencheur? Les vins de Jean-Pierre Frick, qui avaient quelque chose de plus à la dégustation, une autre dimension, difficile à définirmais qu’ils voulaient également retrouver dans leurs
vins. C’est parti comme ça. Les premiers essais ont e u lieu en 1997-1998. Après avoir réglé la question logistique des terasses,

la biodynamie a été appliquée à partir de 2000 sur l’ensemble des parcelles. Éric était très cartésien, il a été convaincu par les résultats observés dans la vigne et les vins. La biodynamie a parlé d’office à Claudine. Son grand-père notamment utilisait déjà le calendrier lunaire. Cela lui semblait familier, 1985 a été la première cuvée d’Éric. 2014, sa dernière malheureusement, car il est parti trop tôt de maladie. Face à cette immense épreuve, la perte de son compagnon et de son binôme, Claudine hésite longuement sur la suite à donner au domaine. À deux le travail était déjà énorme, et leurs garçons n’avaient à ce moment-là que 13 e t 1 7 ans. Elle décide d’essayer, de poursuivre leur œuvre commune, pour ne pas regretter, pour se montrer digne de celui qui est parti, pour continuer un métier qu’ele aime sincèrement. Le fait qu’ils travaillaient souvent ensemble e t à presque tous les postes l’a aidée à reprendre. Les difficultés et les défis ont été malgré
tout nombreux.

L’être humain est au centre
de chaque aventure agricole,
biodynamie ou non. Avec les questions
importantes que cela soulève…

L’être humain est au centre de chaque aventure agricole, biodynamie o u non. Avec les questions importantes que cela soulève: la transmission (que transmettre, quand et comment), la protection et la place de la compagne/du compagnon ainsi que des enfants,cle sentiment d'(il-) légitimité pour celui ou cele qui reste et l’alliance de la continuité avec l a nouveauté,

es compétences à s’approprier ou a acquérir, l’équilibre financier, les perspectives et les projets, etc.

Observation, intuition et soins

Le domaine est passé de 3,5 ha au début à 1,5 ha par la suite, avec des vignes en côteaux et beaucoup de terrasses. Elles sont magnifiques, avec des talus en pierre sèches dessinant le paysage. C’est cependant beaucoup de travail e t d’entretien, et moins de rendements. Claudine travaille actuellement avec deux salariés dans les vignes et deux autres pour la prestation d’étiquetage, et ses enfants maintenant adultes aident beaucoup même s’ils ont d’autres activités et métiers. L’itinéraire technique n’est pas figé, elle se laisse porter par le millésime, ele écoute, observe, doute, se remet en question, esaye, et puis décide, agit, met en œuvre. L’observation du port de la vigne est un indicateur pour l a vignerone: elle a pour objectif des vignes avec u n port ouvert et non recroquevillé, une belle alure; alors les raisins seront bons et les vins aussi. Claudine est intuitive, sensible, instinctive. Elle négocie parfois avec son équipe, fait des compromis pour que chacun s’y retrouve et amène sa touche. Elle va dans les vignes, arque, palisse, contrôle la maturité des raisins; est en cave, décuve, filtre; taile peu par manque de temps; s’ocupe du bureau par obligation,
le soir, l e week-end parfois; reçoit les clients, va en salon… le travail ne manque pas.
Les parcelles sont toujours plantées avec des sélections masales, jamais de clone, sur des porte-greffes diversifiés et pas trop productifs. Le travail du sol est mesuré, réalisé par griffage ou labour à quelques centimètres de profondeur

seulement, pour obtenir un sol vivant et souple sous le pied.
Une parcelle d u domaine fait d’ailleurs partie de l’expérimentation scientifique Ecovitisol avec le microbiologiste Lionel Ranjard; auparavant ele était aussi impliquée dans la recherche action participative d’un GIEE avec Jean Mason, qui a montré que la biodynamie favorisait les défenses naturelles des vignes contre les agressions du climat et des maladies. Un rang sur deux est implanté avec de l’engrais vert, e t un rang sur deux est en enherbement spontané, avec une alternance chaque anée. Les engrais verts sont habituelement détruits en avril, quand ils sont jeunes e t avec l’objectif de nourir le sol. Dans certaines parcelles cete méthode a amené beaucoup de vigueur aux vignes, poussant Claudine à réduire la densité de semences d’engrais vert. Du compost local d’un fermier du fond de la vallée est apporté chaque année sur une partie des parcelles, en rotation.
Pour les soins et les traitements, c’est la prêle de printemps qui ouvre la saison en solo, puis la valériane qui accompagne les premières bouse et silice de corne, et la consoude, l’ortie, la bourdaine ou d’autres qui sont ajoutées selon l e besoin à chaque traitement au cuivre ou au soufre. Claudine n’aime pas vraiment traiter, alors elle commence asez tôt dans la saison et utilise de petites doses, toujours additionnées d’une ou plusieurs tisanes. Parfois elle intègre un peu de propolis dans les traitements après rognage. Pour les tisanes, de l’eau est cherchée à la fontaine d’un vilage voisin, moins calcaire. Certaines parcelles
sont particulièrement sensibles à l’oïdium car sujettes

à des courants d’air froids. Elles peuvent être davantage traitées que d’autres, moins sensibles, ou traitées rang par rang au moment opportun, ou encore recevoir un poudrage supplémentaire selon la pression. Cette année, avec les grosses chaleurs estivales, les vignes ont reçu des soins supplémentaires: des tisanes de camomille et d’achillée. Les pulvérisations se font en tracteur ou en pulvérisateurs à dos selon les parcelles et les possibilités du moment. Claudine aimerait avoir plus de temps pour aller cueillir elle même davantage de plantes, faire plus d’applications et de soins.
Pour le matériel, Claudine partage quelques machines dans la Cuma du village (pré-tailleuse, poudreuse…) et d’autres avec ses voisins Marie et Mathieu Boesch (dynamiseurs, pompes à dos, acti-sol). Elle est à l’aise avec l’idée de ne pas tout posséder, de partager. Cela se passe très bien et ils s’organisent pour avoir les outils ou machines au
moment opportun. Quelques outils ont également été réalisés avec l’Atelier paysan.
Les talus sont gérés avec un prestataire qui a une épareuse performante. Elle a davantage de tracteurs qu’il y a dix ans, pour moins de manipulations, en revanche des engins plus légers (comme les petits tracteurs Kubota), qui tassent moins, consomment moins, sont plus confortables, sont moins coûteux dans l’entretien et le remplacement de pièces.

L’amour des gens pour moteur

Claudine aime profondément les êtres humains. Produire des vins qui se partagent et apportent de la joie est donc une évidence et un vrai plaisir. Elle se

nourrit des rencontres et des échanges: servir les clients qui viennent au caveau, participer à des formations, à des réunions d’échanges comme dans l’association Vignes Vivantes, etc. Le collectif est important à ses yeux. Participer à la vie locale, façonner le paysage, participer au bonheur des consommateurs, partager du plaisir, échanger pour s’enrichir, s’émerveiller de la beauté de la nature, observer les signes de vitalité dans les vignes, lire beaucoup pour alimenter ses réflexions: Claudine est portée par une multitude de motivations et par une énergie et un courage qui forcent le respect. La vie de la vigneronne a du sens, de la saveur, de la consistance. Les dix ans maintenant écoulés depuis lesquels Claudine mène le domaine avec réussite devraient balayer la question de sa légitimité, qui l’interroge encore parfois. Le chemin parcouru est admirable. Aujourd’hui proche de la retraite, c’est aux enfants de Claudine et d’Éric de décider de la suite à donner à ce joli domaine aux délicieux vins qui est leur, et pour cela de bien s’entourer, de trouver leur place, de réussir à se projeter. L’épreuve est de taile en ces temps instables. Mais les valeurs qui leur ont été transmises devraient leur donner la force et l’intuition nécessaire.
Et relever des défis ayant l’air d’être une histoire de famille, on leur fait confiance.

 

Pour en savoir plus
https://www.bio-dynamie.org/
vignesvivantes.org